• Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    "Un trésor se cache au Moulin-à-poudre"!

    Article de "La dépêche", ancêtre du "Télégramme de Brest", daté du 1er mai 1936 (seul un extrait de l'article est ici reproduit. Archive par Manon la rochelaise)

    Nous étions élèves au lycée de l'Harteloire à Brest vers 1970, en 6ème ou en 5ème (la prof de français, Mme Anger, fumait des brunes). Des fois, après les cours (quand on finissait plus tôt), on s'aventurait vers la vallée du Moulin-à-poudre. On prenait la rue Latouche-Tréville derrière la gendarmerie, on achetait quelques bonbons à la boulangerie ou chez Yvonne, et on descendait les grands escaliers vers la porte de la brasserie.

    Une fois, sûr que c'était Loïc (il est décédé cette année 2022) qui avait eu l'idée d'aller "visiter" la porte du Bouguen un après-midi de mai. Il faisait chaud. Quelques filles avaient accepté de partir à l'aventure avec nous: Pascale, Dominique, Christine, Myriam ou Isabelle?. Je crois bien qu'il y avait Jean-Marc (de Kérinou), Yann, Michel, Thierry ou André, certains en culottes courtes. On est passé devant la porte de l'arsenal, Jean-Marc a montré la maison de la mère biquette à flanc de falaise, sous les fortifs. On a monté la rue du Bouguen, longée par le mur de l'arsouille. Il y avait des lézards sur les muretins, qu'il faisait chaud! En haut de la grande côte, après les baraques, on a vu l'imposante porte du Bouguen (elle se trouvait en gros à l'emplacement du croisement actuel des rues Le Gorgeu et Langevin), comme un bâtiment militaire en ruine (la porte, seule, a été préservée et déplacée près du terrain de rugby de l'université, où elle se trouve à présent). Loïc est rentré le premier dans le bâtiment, par une fenêtre béante. C'était sale et ça sentait mauvais. Pouah! Il n'y avait rien à trouver là-dedans. Mais c'était l'aventure. Et les filles n'étaient pas si rassurées, même si Pascale faisait la maligne. Si bien que certaines donnèrent la main pour redescendre la rue du Bouguen. Ah, elle valait le coup, cette aventure!

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    Le val du Moulin-à-Poudre vers 1970. La route qui passe sous le pont bleu mène à Kérinou et son jardin magique (il n'en reste presque rien aujourd'hui). C'est encore presque la campagne.

    Une autre fois, au lieu de monter vers le Bouguen, Jean-Marc proposa d'aller "au jardin de Kérinou", soit de longer la route sous le pont bleu. Bientôt, ce fut la campagne. On est passé devant une maison qui faisait restaurant, presque sous le pont: "Au bois de Boulogne". Et puis on a pris un chemin et on est entré dans un café minuscule dont le sol était en terre battue! On a pris des carambars à 5 centimes. Tit Clod' connaissait l'endroit. Il a montré un escalier de pierres en ruine et a dit: "il paraît qu'il y a un trésor là-dessous". Et puis on est allé jusqu'au ruisseau au milieu de la prairie. On a vu des têtards et des sangsues. Vite fait on a quitté la prairie en inspectant nos mollets. Michel disait que les sangsues te suçaient le sang sans que tu t'en rendes compte, la vache!. On a marché vers Kérinou, on a vu le hangar des bus et le tramway. Et on a découvert l'incroyable jardin de Kérinou, ses massifs et ses vallons, avec les allées qui serpentaient entre les plantes en fleurs. Génial! On a fait "salut" au gardien. On allait pouvoir jouer à cache-cache et à touche-touche. Ou à la guerre. Michto!

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

    La classe de 6ème5 du lycée de l'Harteloire, année 1970-71. Les "aventuriers" (et aventurières) du Bouguen, du Moulin-à-poudre et du jardin de Kérinou se trouvent parmi eux (et elles). La prof (d'allemand), c'est Frau Simon ("Setz euch!")

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    L'ancienne porte de la brasserie, en bas de la rue Portzmoguer, marquait la limite de Brest. Après, c'était déjà la commune de Lambézellec.  Il reste encore actuellement près de l'actuelle "porte de la Brasserie"(entrée de l'arsenal), juste avant le garage auto, la ruine de l'ancien poste de garde intra-muros.

    "Le pont-levis de la porte du Moulin-à-poudre était levé chaque soir, au couvre-feu. On ne pouvait plus rentrer dans Brest que par la porte de Landerneau, aux Glacis, où il y avait une poterne. Il fallait montrer patte blanche au corps de garde". Les évasions de forçats étaient fréquentes. On tirait alors le canon et le pont-levis était levé" (extrait du livre "le siège de Brest à Lambézellec" -paru en 1950-, souvenirs de la mère de l'auteur)

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    Extrait de l'article de la "Dépêche" du 1er mai 1936, où l'on parle du trésor du Moulin-à-poudre: "son histoire était connue de tous les anciens du village et nous avions fini par croire qu'il s'agissait d'une légende. Mais un fait m'ouvrit les yeux..."

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    "Le Moulin-à-poudre", extrait du livre "Brest à travers les cendres" par E. Nourry. "Avec ses prairies bordant la route de Kérinou, ses maisons plantées au hasard des chemins plus ou moins escarpés, il ressemble à un village cubiste, à Chatou peut-être? Les linges aux coloris heurtés claquent au vent, à l'instar des battoirs et des langues des lavandières dans les buanderies proches. L'odeur crue des triperies rampe sur les gazons gras où sèchent en permanence des carrés de toutes les couleurs".

    Imaginez la route vers Kerinou (à droite) au premier plan, et le pont bleu au fond, bien au-dessus des arbres. La maisonnette au premier plan, elle existe encore!

    Page 140 du livre est évoqué l'ancien Moulin à Poudre, celui d'avant-guerre, dans le chapitre "Adieux à mon village". "La route de Kérinou bordée de hêtres roux à l'automne, sous lesquels les filles venaient ramasser les faînes". "Le ruisseau jaune d'or où pullulaient les anguilles et qui chantaient sous les saules".

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    Détail d'un plan amateur de la vallée du Moulin-à-Poudre vers 1970. Le pont bleu serait légèrement à gauche (hors du plan)

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

     

    photo extraite du livre "le siège de Brest à Lambézellec" (paru en 1950), par Auguste Kervern (maire de Lambé à l'époque, une rue porte son nom). Les bâtiments sur la photo ont été détruits lors d'un bombardement allié une nuit de 1943-44. Le trésor se trouverait-il enfoui sous une maison bâtie après la guerre? En tous cas, cette histoire n'est pas un canular. On la verrait bien reprise en BD dans un prochain numéro de la revue "Casier[s]". Non?

    Ladislas Boszo, attablé au café Léal, près de la porte de la brasserie, là où les ballons de rouge étaient alignés le matin sur le zinc. Les ouvriers de l'arsenal, baluchon sur le dos, déposaient les piécettes sur le comptoir et vidaient leur verre d'un trait. Pour se rincer l'gosier avant le maille.

    ladislasboszo.eklablog.com

    Le trésor du Moulin à Poudre (légende brestoise)

    Exodus, figure flânante de ce blog, rappelle que le "Pont Merdou", dont on parle dans l'article de "la Dépêche", se trouvait au bas de la rue Fautras, dans le vieux-Brest. Pierre Mac-Orlan l'évoque au chapitre VII de l'"Ancre de MIséricorde". (Voir les commentaires à cet article ☺)


  • Commentaires

    1
    Exodus
    Lundi 30 Mai 2022 à 22:48

     

    Où l'on découvre aussi l'existence d'une place du Pont-Merdou, au bas de la rue Fautras...

     

    UN TRESOR SE CACHE AU MOULIN-A-POUDRE

     

    Paisible village sous les ombrages de la vallée.   Une fin tragique.   L'effarante aventure d'Augustine la louche

     

     

     

     

    — Encore un trésor ?

     

    — Oui, monsieur, et un vrai.

     

    — C'est toujours ce que l'on affirme.

     

    — Oh ! mais pardon, celui-ci figure sur un acte notarié bien qu'on ne l'ait pas encore découvert. D'ailleurs, il n'est pas loin d'ici, voyez plutôt au Moulin-à-Poudre.

     

    C'était une indication qu'il importait de vérifier. Mais en la matière il faut y aller avec prudence. Voici un vieillard qui nous renseignera peut-être.

     

    — Vous habitez-là un endroit bien charmant à cette époque.

     

    — Oui, mais est-il exact qu'un pont doit être construit au-dessus du Moulin-à-Poudre pour unir les nouveaux quartiers de Kérigonan à ceux du plateau du Bouguen ?

     

    — Parfaitement, il est prévu au plan d'embellissement.

     

    — Cela va singulièrement transformer l'aspect de notre vallée. On ne la reconnaîtra bientôt plus.

     

    — Il nous semble pourtant que c'est précisément là le point de l'agglomération qui a été le moins touché dans le bouleversement général. Le village a conservé son ancien aspect avec ses ombrages et, tout proches, ses jardins étagés.

     

    Notre vieil interlocuteur s'étonne.

     

    — Vraiment, monsieur, vous n'avez pas connu l'ancien Moulin-à-Poudre avec son ruisseau, son étang, son chemin bordé de grands hêtres. La route actuelle où passe le tramway n'existait pas alors. Il n'y avait là qu'un étroit chemin bordé de maisons; encore ne l'empruntait-on guère, utilisant plus pratiquement, pour aller de Kérinou à l'arsenal, celui qui passe encore au milieu du village, au long de la rive droite de l'ancien ruisseau. C'est pourquoi nous continuons, nous, d'appeler « nouvelle route » celle qu'emprunte le tramway.

     

    « La plupart des terrains appartenaient, à cet endroit, à ia Marine. Rien n'est plus facile de s'en convaincre en suivant les bornes de pierre gravées d'une ancre qui marque encore la délimitation de cet ancien domaine.

     

    « C'est là, sur le ruisseau, que la marine avait édifié quatre moulins utilisés pour broyer le charbon de bois entrant dans la composition de la poudre à canon.

     

    « Certes, les anciens vous le diront, tout cela a bien changé. »

     

    — Savez-vous que votre vallée a bien failli connaître d'autres bouleversements? C'était à l'époque où en raison de la tension de nos relations avec l'Angleterre, on avait résolu de compléter le système de fortifications de Vauban. M. de Langeron, lieutenant-général, chargé d'établir le projet était alors commandant de Bretagne. C'était en 1776.

     

    « Depuis que le port de Brest a été agrandi écrivait-il, en creusant la haute Pendeld, il est nécessairement à découvert. Peut-être aurait-il mieux valu creuser un grand et beau bassin au Moulin-à-Poudre ou à la Brasserie, mais cela n'étant pas, il faut partir de la situation actuelle. »

     

    — Du coup la Marine n'eut jamais abandonné ses terrains.

     

    — Mais peut-être, au cours de ces travaux, eut-on découvert le trésor ?

     

    — Le trésor ? Ah ! vous savez ! Mais il est d'une époque plus récente. Pour vous en assurer, voyez donc M. Félix Kervern, dont la famille est établie là depuis un siècle et demi.

     

    Aimable accueil, explications empressés d'un homme qui a conservé l'amour de sa petite patrie, dont il évoque le passé avec sentiment.

     

    — Les moulins désaffectés existent encore, nous dit M. Kervern; voici, au sommet de notre prairie, un bief dans le canal de dérivation.

     

    « A cette époque, l'eau du ruisseau était claire, les anguilles y foisonnaient et on en prenait à pleins seaux. Aujourd'hui, le déversement des eaux sales de Kérinou, de Saint-Martin, des lavoirs et usines ont rendu ce ruisseau inhabitable pour quelque poisson que ce soit.

     

    « Le Moulin-à-Poudre était assez isolé, mais les habitants y vivaient en pleine harmonie. Le pardon, chaque année, était très suivi. On fêtait la rosière qui était appelée à planter l'arbre de mai. Dans la petite chapelle du parc voisin, dont le clocheton de bois se dégage à peine de la verdure, on disait la messe.

     

    — Mais le trésor ?

     

    — Son histoire était connue de tous les anciens du village et nous avions fini par croire qu'il s'agissait d'une légende; mais un fait m'ouvrit les yeux.

     

    « A la fin de 1919, je fis acquisition de la maison portant le n° 9. Mon attention fut attirée par une clause de l'acte de vente, dont voici la teneur :

     

    « Les vendeurs déclarent se réserver expressément à leur profit et au profit de leurs héritiers et représentants, le droit de propriété sur toutes sommes, titres, objets d'art et bijoux de quelque nature que ce soit, notamment un collier d'émeraudes, qui pourraient se trouver dans l'immeuble présentement vendu, même s'ils étaient enfouis ou cachés, et qui pourraient se découvrir par suite de l'écroulement ou de la démolition des biens dont il s'agit ou pour toute autre cause que ce soit.

     

    « Les acquéreurs n'auront donc aucun droit de propriété aux objets et valeurs ainsi trouvés et ils devront en prévenir les vendeurs, auxquels ils restitueront ces objets et valeurs, sans aucune indemnité de la part de ces derniers et, ce, sans délai. »

     

    « Cette clause fut pour moi une révélation; la légende prenait forme dans la réalité. J'en fis part a ma famille et ce fut le rappel à tous nos souvenirs. Et ce fut l'évocation d'une histoire que nous racontait une bonne tante.

     

    « Pendant l'époque révolutionnaire, M. de Kerinouff, propriétaire de l'immeuble, avait été arrêté, emprisonné et, comme tant de malheureux, après un jugement sommaire, guillotiné sur la petite place du Pont-Merdou, au bas de la rue Fautras.

     

    « Dans l'hypothèse du trésor caché, il faut supposer que l'infortuné n'eut pas le temps ou la possibilité d'indiquer la cachette à ses parents.

     

    « On en parla longtemps néanmoins et cela ne manqua pas d'attirer les convoitises. Un jour, certain voisin, connu sous le sobriquet de Scarpin, et sa femme, dite Augustine-la-Louche, résolurent de découvrir le secret par l'intermédiaire d'une cartomancienne.

     

    « Naïvement, ils exposèrent le fait. Bonne affaire pour l'extra-lucide, qui leur indiqua l'emplacement du trésor dans la cour et sous une dalle située derrière la maison.

     

    « Convaincus, ils s'en furent une nuit, en grand mystère, sous la large dalle d'un escalier extérieur et se mirent à l'ouvrage. Une chandelle de suif les éclairait d'une lueur tremblotante.

     

    « Dans le silence de la nuit, leur pioche heurta soudain une grosse pierre. Le cœur battant, ils s'apprêtaient à la dégager quand, terrifiés, ils virent un doigt se poser sur la flamme de la chandelle et l'éteindre.

     

    « — Alors, racontait Augustine à ma grand-mère, nous nous sommes enfuis, complètement affolés.

     

    « Ceci devait servir d'exemple. L'expérience ne fut jamais renouvelée

     

    « Pour ma part, je n'ai jamais été tente de procéder à pareille recherche car il faudrait probablement démolir toute la maison. Est-il besoin de vous dire que, si le hasard, me mettait un jour en présence du trésor, les descendants de M. de Kerincuff entreraient immédiatement en sa possession ?

     

     

    Ch. LÉGER.

     

    2
    Mardi 31 Mai 2022 à 06:38

    Merci Exodus! C'est l'histoire intégrale racontée dans "la dépêche" du 1er mai 1936. J'ai su que des petites fouilles avaient été effectuées dans les années 1960. En vain. Le trésor dort toujours!

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    3
    Exodus
    Samedi 18 Juin 2022 à 14:06

    "Le "Pont Merdou" était devenu le centre des bagarres nocturnes et tous les archers de la ville maudissaient leur besogne. Il avait fallu employer la troupe qui fournissait chaque nuit des patrouilles pour assurer la sécurité des bourgeois et le respect des bonnes mœurs."
    Pierre Mac Orlan, L'Ancre de miséricorde, chapitre VII.

    Dans les années 70, c'était les flics mar's qui faisaient régner l'ordre au port de commerce pas encore devenu festif.

      • Dimanche 19 Juin 2022 à 12:20

        J'ai "l'ancre de miséricorde" dans ma bibliothèque. Lu il y a 40 ans au moins (je vais le reprendre, il n'est pas long à lire". Dans les années 70 je descendais pêcher au port près des balises l'été. Je prenais la gravette dans un bar du port. L'ambiance était sympa.

      • Dimanche 19 Juin 2022 à 14:34

        J'ai rajouté "l'ancre de miséricorde" à l'article, et je mets le bouquin sur ma table de chevet...

    4
    Exodus
    Vendredi 24 Juin 2022 à 10:08

    Peu pratiqué la pêche au port (une tentative infructueuse, je crois), mais j'ai connu des mordus de l'hameçon.

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