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La rue d'un autre âge (conte d'avant Noël)
Dessin extrait de "la rue d'un autre âge", article paru dans "Le Mirror" (ou les échos de l'ASH an III), paru à un exemplaire le 15 décembre 1978, et dont voici pour la première (et dernière) fois la relecture:
"Voici 30 ans que je n'étais revenu à Brest. Forte de ses 600 000 habitants, la cité du Ponant était hérissée de gigantesques gratte-ciels. Je descendai à l'Hôtel des Voyageurs. Je ne reconnaissais plus ma ville. La rue de Siam était devenue une artère à dix voies, la rue de Lyon était souterraine. On avait rasé l'église Saint-Louis.
Je ne sais ce qui me poussa vers le quartier de l'Harteloire, qui lui non plus n'avait pas été épargné par le béton. Je descendais tristement une avenue gigantesque quand, soudain, j'arrivai à la hauteur d'une petite rue qui semblait épargnée par le temps. Une véritable rue du XXème siècle, pareille à celle que j'habitais à Saint-Marc dans le temps. Pétrifié mais heureux, je m'engageai dans la rue.
Mais au fait, comment s'appelait-elle? Je regardai la plaque bleu-marine qui faisait ressortir en blanc "rue de l'ASH".
Couverture du roman de Spider Robinson, "le bar du coin des temps", qui inspira l'article sur la rue d'un autre âge (le dessin de couverture est de Philippe Adamoff)
"ASH"? Cela me disait quelque chose, mais sans plus. Au-dessus de la plaque, deux drapeaux en lambeaux, l'un représentant un diable blanc, et l'autre semblait-il une main brandissant un glaive. Ridicule, sûrement. Bizarre aussi...
Au n°1, faisant coin, se tenait le magasin "Supermac Disc". J'aurais aimé y pénétrer, il y avait des posters de Led Zeppelin et Status Quo en vitrine, mais il était fermé le dimanche. Juste à côté, le bureau de tabac d'un autre âge portait encore la carotte rouge comme dans le temps: "Ché Dragan, ici on sert de la kro-bout'". C'est alors qu'un vieillard aux yeux brillants m'interpella: "Hé vous, ça vous épate de retrouver une rue comme ça, hein?"
- Ah oui, incroyab'. Mais ces noms, Supermac, Dragan, ça me cause...
- Ben oui. Vous avez dû vivre à l'Harteloire dans les années 1970. Ou vous étiez lycéen. L'équipe de foot du lycée bleu...
- Mais c'est bien sûr: Supermac la terreur du Larzac, et Dragan qu'on appelait "la latte"!
- Affirmatif! Ils habitent tous dans cette rue. Tenez, là c'est la maison de Président Jack: il a fait fortune et a racheté le vieux stade du Larzac (stade Foch) à la ville. Le diable gravé sur sa porte, il est plaqué-or! A côté, c'est l'agence Bombair qui affrète encore deux avions de Guipavas à Munich chaque semaine. Mais à son âge, il laisse plus ou moins tomber son agence, le Bomber.
Ah, voilà le "United Pub", un peu le poumon de la rue. Le poumon qui tousse! On y passe de la vieille musique (David Bowie, Cheap Trick, tout ça) et le patron y sert le "Fulgur express". Il y a même un comptoir en bois!
Au n°11, le salon de coiffure de Marius, vous savez: l'ange blanc! (rires). La boutique est un peu décrépie, c'est qu'elle est fermée depuis deux ans. Le Marius, il passe son temps à raconter des histoires corses au pub.
On arrive au bout d' la rue. Dans cet immeuble de guingois, il y a trois lascars: au rez-de-chaussée, là où il y a ces rideaux vert-blanc-rouge, c'est la tanière de Winnie, l'idole du terrain d'la gare, qui fut prof d'italien au vieux lycée bleu de l'Harteloire jusqu'à sa fermeture. Au dessus habite Le Vieux Sorcier, toujours fourré au pub, et fameux joueur de billard. Et sur le même palier, c'est Béb' Mc Reno, vous savez ce joueur de rugby qui a donné le titre de champion de France à l'AS Brestoise..."
"Dragan" (arrière intraitable de l'ASH), extrait de l'article "un soir au United pub", paru dans le Blanc Magazine (le journal de l'AS Harteloire), édité à un exemplaire le 26 avril 1979. Les dessins qui suivent sont issus du même article)
"Allez, on traverse! Cette maison blanche, au n°12, avec une sorte d'observatoire sur le toit, c'est celle de Flash, l'ancien arrière droit de l'ASH. Il passe son temps à regarder les étoiles et à tirer des plans sur la comète. Un peu zinzin...
Mais sûrement pas autant que son voisin! Là, au 10, où flotte le drapeau américain, c'est la demeure de l'ambassadeur des USA à Brest. Enfin, c'est Jimmy (l'ancien président des supporters du club de l'Harteloire) qui le croit. Il va accueillir tous les bateaux américains qui accostent au port. Crazy le guy.
Buto
Vous suivez toujours? Ok! Au 8, on trouve deux hallucinés: il y en a un qui s'est converti à une religion pakistanaise ou hindoue. Il a le crâne rasé à présent. Qu'est-ce qu'il tient! Choco joue du Patti Smith à la bombarde régulièrement au pub. L'autre halluciné a, par contre, les cheveux longs: il se prend pour Jésus! Mais, avec ses cheveux blancs, il ne trompe plus grand' monde.
Au 6, c'est chez Buto-valab'-les-mecs!. Avant, il habitait l'étage, mais il a changé avec le colonel Debe qui n'arrivait plus à monter les escaliers. Le colonel n'est pas commode, m'a dit Buto. Avant, on l'appelait "Tête-de-boeuf". Maintenant c'est "Jambe-de-bois". C'est depuis qu'il a perdu sa jambe en Ukraine pendant la troisième guerre de Crimée. Ca l'a rendu irascible.
Debe
On a presque fini: au n°4, c'est la bijouterie du trésorier Kermit. Il a fait faillite parce qu'il refusait de vendre ses pierres précieuses, de peur de faire une mauvaise affaire. Mais il reste le plus souple de tous ces p'tits vieux.
On termine au coin d'la rue, en face de "Supermac Disc": c'est la station-service de Swallow, le garagiste en blouson d'cuir. "Mettez une hirondelle dans vot' moteur!", qu'il dit. C'est lui qui rit le plus fort au pub. Il a réparé le car acheté par Jean Lasbuth et, tous les dimanches, va sortir les vieux à la campagne. Ce n'est pas triste, à ce qu'on dit. C'est Johnny Boots qui se charge de l'ambiance. Aujourd'hui, ils sont partis pique-niquer sur le stade Arthur Aurégan, à Morlaix..."
- "Fantastique!" que je dis. "Et ça se passe comment avec le voisinage?
- Oh, les moins de 60 ans les prennent - à raison - pour des fous. Tenez: le 16 novembre dernier, ils ont fêté le 50ème anniversaire de leur unique victoire. Ils ont organisé un banquet à même la rue. La police a fini par les disperser au bout de la nuit. J'y étais, on s'est bien amusés. Mais je m'en vais vous laisser, j'ai suffisamment abusé de vot' temps...
- En tous cas, merci. Monsieur...?
- Olive! On m'appelle Olive. Allez, tchao mec!"
Là-d'ssus, j'ai quitté la rue d'un autre âge, et je me suis replongé dans l'enfer de béton.
Les guirlandes annonçaient le Noël 2027. J'avais découvert que, perdue entre les gratte-ciels, une petite rue protégeait ses habitants d'un autre siècle. Je serai de retour le 16 novembre de l'année prochaine, si Dieu me prête vie, comme on dit".
Fulgur
Bon, c'est un conte, toute ressemblance...
Sinon, Olive était à Bordeaux le 28 novembre pour voir la victoire du stad'. Et on a aperçu Fulgur qui sortait samedi matin de la boutique "2 euros" rue Jean Jaurès. Et ça, c'est pas un conte!
Président Jack
Ladislas Boszo
(la version initiale de l'article a été légèrement remastérisée)
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